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la révélation du chien Toby.

C'était la fin des années 60....

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J'avais quatre ans.

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A cette  époque , l'on parlait de la conquête de la lune  aussi souvent que l'on parle de  la "crise" aujourd'hui.

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Reclus dans l'appartement que nous occupions désormais seuls, ma mère et moi n'avions du monde que la vision que nous en offrait la télévision noir et blanc qui trônait dans le salon.

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Et quel monde!

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Celui des trente glorieuses, où    tout était possible, un monde peuplé de gens merveilleux, qui construisaient, inventaient, exploraient, battaient des records, et tout cela dans la joie, la bonne humeur et le sourire aux lèvres.

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Même les contestataires,  que l'on appelait les "hippies", manifestaient pour plus de paix, ne parlaient que d'amour tout en offrant  des fleurs  aux forces de l'ordre, au cours de leurs manifestations.

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Ces  gens la, dont certains étaient armés de guitares,  ont organisé un immense concert à    Woodstock, un message unique dans l'histoire de l'humanité, un mélange de colère et de bienveillance.

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C'est eux, et eux seuls, par le choc sur les consciences qu'ils ont réussi à    produire, qui ont mis fin à  la guerre du Vietnam, face à    une coalition   de bien pensants démesurément équipés en matériel militaire.

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Les bien pensants contrôlaient   pourtant    tous les moyens de communications pour nous dire que le danger, ce n'était pas eux, mais ces chanteurs hirsutes qui corrompaient la jeunesse, qui ne voulait   ainsi plus mourir pour réaliser leurs projets.

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On sait aujourd'hui que  les contestataires   avaient raison, tout le monde a honte de ce qui s'est passé, que ce soit l'apartheid ou le Vietnam.

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Si vous voulez avoir une idée de l'ambiance, visez le lien suivant 

 

 https://www.youtube.com/watch?v=SboRijhWFDU

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Quand j'entends ce que racontent les artistes de nos jours, j'en suis malade.

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Mais j'étais privé de ce monde merveilleux, bouillonnant, ou la  liberté semblait capable d'écraser tous les abus,   par les murs de cet appartement dont ma mère ne voulait plus sortir depuis que mon père nous eut   abandonnés.

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Celui ci était pilote, et même instructeur à   l'aéroclub de Pau-Idron, avant  de quitter la ville et nous mêmes pour toujours.

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Par la fenêtre, je voyais passer des petits avions, et j'imaginais que peut être, malgré tout, il était dedans, et qu'il allait atterrir tout près.

 

Il aurait ainsi suffit    que ma mère m'emmène à   l'aérodrome pour le retrouver. 

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Cela n'était jamais possible, ma mère se déclarait "pas en état" de voir du monde, et de toutes façons, je serais déçu, il ne serait pas la.

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Alors, je me réconfortais avec la fabuleuse aventure vers la lune, où   les missions se succédaient, les fusées allaient toujours plus loin, sans jamais atteindre leur but...

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"mais quand est ce qu'ils vont atterrir sur la lune, maman?"

"la prochaine fois.."

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Et c'était vrai...

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Une nuit, elle m'a réveillé, et j'ai pu assister, en direct, à   travers une image neigeuse, aux premiers pas de deux hommes , qui semblaient aussi à   l'aise sur la lune qu'ils l'étaient  à   cap Canaveral.

Plus proches de dieu que personne ne l'avait jamais été,  ils échangeaient des plaisanteries de collégiens avec le reste du monde, pour montrer qu'ils étaient bien comme nous.

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Dans le monde entier "nous" avions étés  sur la lune, ça a été un moment ou les frontières ont disparu, tous les hommes se retrouvaient enfin! 

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J'étais moi même   enthousiasmé   de faire partie d'un monde si riche en promesses.

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Et au petit aérodrome de Pau, une grande fête fut organisée, car les pilotes de Piper se sentaient encore plus concernés que les autres.

Il y avait une affiche au supermarché "Rallye", où    l'on pouvait comprendre sans savoir lire que tout le monde était convié a cette fête.

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Cette fois la, j'ai utilisé toute la capacité de nuisance qu'un enfant peut produire.

On irait!!!!

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Et c'est ainsi que la 4l de ma mère a franchi la barrière de l'aérodrome, en cette fin juillet 1969.

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L'endroit était merveilleux.

Il y avait de l'herbe, d'abord, et puis des fleurs.

Des fleurs qui avaient poussées seules, n'importe ou, qui n'obéissaient   à personne.

 Une vieille voiture de piste, une Simca Aronde, que l'on avait le droit de faire semblant de conduire et qui, même   neuve, n'avait jamais donné tant de bonheur.

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Une immense cabane de bois constituait le club house, ça y sentait bon les saucisses grillées et les frites.

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Il s'y trouvait une immense table, mais tout le monde se tenait autour du bar.

Les hommes y racontaient leurs modestes exploits aériens, les femmes et les enfants les écoutaient, c'était ce que l'on avait de plus proche de Buzz Aldrin auprès de nous.

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Et surtout, un peu à   l'écart, il y avait les avions.

Mais ma mère avait enfin consenti à   parler avec des gens, et elle ne semblait pas pressée de m'emmener les voir...

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Le type avec qui elle parlait lança  "ne vous inquiétez pas  Madame, il va y aller avec Toby".

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"Toby, Toby!"

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Et Toby arriva.

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Toby était un chien.

Le plus ordinaire des chiens de la terre.

Court sur patte, presque jaune, il était probablement issu des amours clandestines de deux batards qui avaient expérimenté l'infini à  portée de caniche.

Il était issu d'un instant de bonheur volé à   une vie de chien.

 

Abandonné peu après sa naissance, Toby avait , à   défaut d'un maitre, trouvé refuge à    l'aéroclub, où   il ne savait pas quoi faire pour qu'on l'aime.

Autant dire que l'on était faits l'un pour l'autre..

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Toby avait pour principale mission de garder les enfants.

Les adultes avaient bien mieux à   faire.

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Les   enfants    pouvaient aller ou ils voulaient pourvu que le chien soit avec eux.

J'ai ainsi pu aller voir les avions, les toucher, monter dedans, et  Toby me donnait un coup de museau si c'était dangereux.

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Pas question de toucher aux clés,  ou à   l'hélice  ni aux manettes peintes en rouge.

Il y a des chiens à   qui il ne manque que la parole,  à Toby, il ne  manquait que le brevet de pilote.

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Je me suis assis pour observer la perspective de cet avion jaune sur un ciel  plus bleu que je n'en avais jamais vu.

Le bras autour du cou de Toby, j'entendais la musique des Beatles en provenance du club house.

Je faisais l'expérience d'un sentiment nouveau, que j'allais poursuivre toute ma vie, quitte à   être   seul avec un avion,  n'importe ou sur terre.

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J'appris ensuite que cela s'appelait la liberté.

Mais je n'avais encore rien vu.

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Un type passa par la.

Il préparait son avion pour un petit tour.

Il a vu mon regard , et celui du chien.

"Tu veux venir?"

J'étais déjà dans l'avion.

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Comme c'était simple! Il ne savait même pas qui j'étais ni ce que je faisais la!

Aujourd'hui, il serait accusé d'enlèvement d'enfant.

Paix aux hommes qui ne savent    pas le mal.

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Le  Piper "cub", lui aussi abandonné, par les  américains à   la libération, avait été repeint en jaune, et adopté par le club.

 Il sentait bon l'avion, un mélange d'huile brulée, de vomi séché dans les recoins et d'essence.

Il était fait de tubes, de bois et de toile, si bien qu'on ne pouvait imaginer qu'il avait été fabriqué dans une usine en floride, mais plutôt   par un artisan sans moyens.

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Il démarrait à   la main, le pilote mettait des cales, qu'il retirait à   l'aide d'une ficelle, une fois installé aux commandes.

Ce qui fait qu'un bref instant, et pour la première fois,  j'ai été seul maitre à bord!

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Apres quelques cahots sur la piste en herbe, l'avion s'éleva en douceur à   des millions d'années lumière des quatre murs de l'appartement.

Tout était immense et lumineux, et cet avion ultra spartiate était le véhicule le plus extraordinaire qu'il m'avait été donné d'essayer.

Il semblait n'avoir aucune limite, on franchissait les villes, les rivières, et même les collines de façon tout a fait indifférente.

Ce ne fut pas bien long, mais j'avais espoir que le pilote ne retrouve pas la piste, car cela me paraissait impossible, ce qu'il fit pourtant sans coup férir.

Ces gens sont décidément étonnants!

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Toby m'attendait au parking.

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"pourquoi est tu la toby, et mon père ne l'est pas?"

"Parce que moi, je te mérite, et meme si je ne suis qu'un chien, c'est le plus important..

Tu devrais plutot le plaindre".

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Cela faisait plus de deux heures que mon escapade durait, il me guida du museau jusqu'à ma mère.

Celle ci ne s'était même pas rendu compte que j'avais disparu.

Même elle avait été emportée par la fête.

elle faillit tomber à   la renverse quand elle apprit mes aventures par le menu...

"mais    qui t'a   emmené? on lui doit quelque chose?".

"Ne vous inquiétez pas Madame, c'est comme ça ici!!"

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Eh oui, sur un aérodrome, c'est comme ça.

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Mais elle ne m'a jamais emmené à  nouveau sur un aérodrome, l'ombre de mon père en ces endroits l'insupportait.

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Je n'ai jamais revu Toby, ni l'aérodrome d'Idron, qui a disparu dix ans plus tard, vaincu par les riverains et transformé en terrain de football.

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Fini de rêver  de décrocher la lune ensemble, il fallait désormais avoir pour objectif de mettre la    balle dans une     cage, quitte à   faire chuter les autres, c'était   mieux pour la rentabilité  des esclaves en accession à   la propriété    du quartier.

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Ceux ci  préféraient désormais    le silence carcéral   au bruit  des hélices de l'évasion, et  les hippies cherchaient  des emplois de cadres.

A force de faire l'amour sans entraves, de tout petits êtres   étaient apparus pour leurs signifier leurs responsabilités.

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Je déteste le football, terminus officiel des rêves    d'enfants, leurs donnant des objectifs dérisoires et absurdes, une lutte de chapelle pour la fierté d'un maillot  Véolia maculé de boue.

 

Pourtant je crois bien, encore aujourd'hui, que ce fut le plus beau jour de ma vie.

Toby m'a    appris que je serais riche le jour ou    j'aurais les moyens de partager ce que j'avais, avec tous ceux qui se présentent.

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C'est pour cela, j'en suis sûr, que plus d'un demi siècle plus tard, je ne suis   jamais heureux que sur un aérodrome, un des rares endroits encore préservé...

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Je vous y attends pour partager   avec vous la révélation du chien Toby...

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